Sénégal - «La proximité de l’actuel Premier ministre avec Tony Blair n’inspire rien de bon»
L’OBS – L’homme est réputé esprit libre, il n’est pas du genre à se muer en laudateur très facilement. Adama Gaye, journaliste-consultant, représente encore une certaine idée du Sénégal qui refuse de se plier à la connivence intéressée, ou à la flagornerie béate. A l’heure où les laudateurs se sont défilés pour saluer l’arrivée de Mahammed Dionne comme Premier ministre du Sénégal, lui pense que l’ère des messies en politique est révolue.
Un torrent d’éloges s’est abattu sur le nouveau Premier ministre Mahammed Dionne. Pensez-vous qu’il soit l’homme de la situation?
Ne rêvons surtout pas, le temps des messies est révolu et s’attendre à un miracle de la part du nouveau locataire de la Primature serait à tout le moins risqué. Pas qu’il ne soit pas capable ni bien outillé pour apporter sa touche à la fonction. Le fait est qu’il arrive à un moment où, même ceux qui osaient en douter hier, savent désormais que la situation économique, sociale et politique du pays est délicate. Cela dit, il y en a qui se sont empressés, comme c’est souvent le cas au Sénégal, de jeter des fleurs à celui qui vient d’arriver. Comme on l’a fait, il y a un an pour Mimi Touré, comme on l’a fait également pour Abdoul Mbaye. Je préfère être plus prudent, parce que les défis sont énormes. Je suis à l’aise pour parler de Mahammed Dionne, car je le connais depuis le milieu des années 1980. J’étais étudiant à Paris, on se retrouvait avec d’autres Sénégalais à Chilly-Mazarin, dans la banlieue parisienne, pour jouer à la belote les samedis, chez un de nos amis de Kaolack Moustapha Diop. L’homme en tant que tel est ouvert, il sait aller vers l’autre, parler, communiquer. Il a une mission qui ne sera pas facile. D’abord, c’est un technocrate qui se retrouve dans un gouvernement qui est fondamentalement politique. Un autre danger, exogène, guette aussi le nouveau Premier ministre : celui incarné par un certain Tony Blair qui a commencé ces dernières années à se positionner en éminence grise de quelques pouvoirs africains. Au Sénégal, il n’est pas étranger dans la formulation de la Delivery Unit qui a donné naissance au Bureau opérationnel du Plan Sénégal Emergent (BOSSE). D’ailleurs Tony Blair (Premier ministre du Royaume Uni du 2 mai 1997 au 27 juin 2007, Ndlr ) qui a été reçu en grande pompe au Sénégal ne m’inspire rien de bon.
On a assimilé les ministres qui ont été nommés à des hommes de la Première Dame, est-ce que la famille n’est pas encore en train d’occuper une place de choix dans les affaires de la cité ?
J’évite de sombrer dans des spéculations ou de m’empresser de donner droit à une rumeur qui circule concernant l’implication fondée ou non de la Première Dame au choix de certaines personnes à des postes importants. Y compris la désignation de son frère, je ne peux pas entrer dans ce jeu. Par contre, il est évident que la République s’accommode mal d’une trop forte présence de la famille. «Famille je vous hais», disait l’autre. Que la famille sans aucun doute puisse jouer sa partition dans la marche de l’Etat sans avoir cette sur-présence-là.
L’on a constaté une récurrence des coupures d’électricité et d’eau, quel regard portez-vous sur ces problèmes qui empoisonnent le quotidien des Sénégalais ?
Aujourd’hui, il y a des urgences que le gouvernement devrait résoudre. Les problèmes de pénurie d’eau, le retour des délestages, la question du chômage des Sénégalais, la crise de l’éducation, l’absence d’infrastructures sanitaires de qualité et tant d’autres problèmes qui sont là et qui demeureront un message fort, prégnant pour ce pays. Il est essentiel que le Président Macky Sall comprenne que ce n’est pas par la propagande en sa faveur, par les attaques ad hominem de certains de ses affidés qu’il pourra éviter de faire face à ces attentes. Je crains dans ce pays, que l’on crée des conditions pour que désormais les diffamations et autres comportements pour servir un pouvoir à des fins d’intérêt personnel puisent faire l’objet de poursuites judiciaires, pour que ceux qui sont capables de tels actes puissent être poursuivis. Afin qu’on crée les conditions d’une pratique démocratique transparente où le jeu de débat public puisse s’exercer avec la participation de ceux et celles qui ont des points de vue à exprimer sans qu’ils soient sous le risque de ces réactions structurées, organisées par des médias ou des forces publiques pour défendre des privilèges ou un régime, quitte à aller à contre-courant des problèmes qui interpellent les Sénégalais.
MOR TALLA GAYE
SOURCE:http://www.gfm.sn/la-proximite-de-lactuel-premier-ministre-avec-tony-blair-ninspire-rien-de-bon/
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