36 ans après son dernier spectacle : Béjart ballet Dakar
36 années après le premier show du Béjart ballet de Lausanne à Dakar, les retrouvailles au Grand Théâtre national ont été le réceptacle d’un spectacle tout simplement jouissif. Retour sur une démonstration en trois actes.
Dans les arènes espagnols, le show grandeur nature concocté par le Béjart ballet de Lausanne à l’attention du public sénégalais équivaudrait en termes de gratification à la queue et aux deux oreilles du taureau, tant les transports d’une assistance conquise ont explosé l’applaudimétrie.
Les vivats de la foule et autres commentaires dithyrambiques résument les minutes du spectacle. Pour ce public à l’écrasante majorité blanche, le show a tenu ses promesses et le Béjart ballet, après 36 années d’absence au Sénégal, avait retrouvé intacte cette passion dévorante qui habite les fans. Pourtant, il y avait des jours que les bandes annonces garantissaient le succès de ce rendez-vous gratiné. L’orchestre avait, depuis des décennies, fini d’asseoir sa notoriété et les Sénégalais et autres Français du Sénégal, espéraient depuis des lustres un spectacle du genre. Loin de l’affluence monstre des shows turbulents de Waly Seck, Baba Maal ou encore de Pape Diouf, le Grand Théâtre affiche presque le plein. Cerise sur le gâteau, l’assistance est relevée par la présence du président de la République Macky Sall, de son Premier ministre Aminata Mimi Touré et du ministre de la Culture, Abdoul Aziz Mbaye entre autres autorités. Les organisateurs ont choisi de faire confiance à la maestria de Pape Faye et de Dj Boubs qui vantent le menu du spectacle. Ils émoustillent davantage la foule et les applaudissements crépitent pour encourager le début du spectacle. Il est presque 22 heures ce vendredi, quand le spectacle commence sous les chuchotis impatients et curieux, la lumière tamisée qui cède le pas à une obscurité encore plus obsédante.
Le répertoire propose en prime time, Dionysos, créé en 1987. Tout est parti d’un mythe raconté à travers d’inspirés déhanchements, de savants numéros de voltige et de pas de danse millimétrés. Un cri strident déchire l’ambiance tendue du Grand Théâtre. Les rideaux qui se lèvent découvrent deux ensembles mouvants, noir et rouge. Quand brusquement un petit danseur voltige haut, avec l’agilité d’un ouistiti. Synchroniquement les lignes se forment, se font et se défont. En première ligne, un danseur en pardessus exorde sur le mythe du dieu grec tandis qu’un conteur endiablé se contente, de temps à autre de lâcher des détails sur le pourquoi du comment. La danse reprend de plus belle après une apparente accalmie. Les acteurs, taille de nains de jardin tournoient sur la piste comme de petites toupies. La grâce et l’aisance de leurs gestes, les assimilent à des feuilles mortes portées par le vent. Cette petite communauté complètement épanouie dans ses mouvements enseigne à sa façon les habitudes d’une société grecque, son quotidien, les extravagances de ses sommités et la profondeur de ses croyances. Une quinzaine de petits lutins blancs forment une cité dont l’assistance suit les évolutions sur le tapis et ponctue d’applaudissements nourris les numéros. Peu après, de petites poupées de cire attentives, dévotement assises s’agitent soudain quand d’autres petits danseurs aux allures de soldats de plomb s’invitent à leur tour.
Dionysos une passion grecque
Le rythme de Dionysos réclame ça : du rythme, de l’intensité et une passion toute grecque. Il illustre cette histoire : «Dans une taverne grecque de nos jours, un homme raconte le mythe de Dionysos, sa naissance miraculeuse et ses danses endiablées qui, de la Grèce, rejoignent le Moyen-Orient sur la route des Indes. Un mythe actuel, moderne par sa violence et ce souffle de liberté qui l’anime. Eternel parce que l’homme a besoin de cette ivresse dionysiaque pour retrouver le contact avec la grande nature et ses forces vivantes et cachées.» Le mythe de la divinité grecque passe par sa conception. Une femme grecque follement éprise de Zeus, dieu grecque, rêve de voir le dieu sous sa forme divine alors que ce dernier ne lui propose que son apparence humaine. La conception propose une jeune dame, en tutu blanc, étendue par terre alors que Zeus veille à assurer sa postérité. C’est le moment que choisissent les danseuses en tutus rouges pour faire leur apparition, glorifiant cet acte. Sur les bouts de leurs orteils elles dessinent sur le tapis des arabesques qui n’en finissent pas d’ébahir l’assistance. «Ces danseurs sont super bien entraînés pour réussir des tours pareils !» s’exclame-t-on du haut des travées. Mais la palme de cette première séquence sera remportée par les évolutions de l’interprète du dieu grec. Un acteur à la chevelure frisée et en éventail. Torse baigné de sueur, il se lâche dans de complexes démonstrations. Ses déhanchements durent une dizaine de minutes avant que ne viennent le suppléer une ribambelle d’autres acolytes qui haussent le rythme, lâchant des cris guerriers. Puis, une sorte de compétition s’ouvre entre deux danseurs encouragés par les camarades. Le sprint final est renversant et la salle crépite d’applaudissements nourris que les acteurs accueillent de bonnes grâces avec des sourires épanouis et de timides inclinaisons de tête.
Le majestueux Boléro
Le second succès du ballet tient à Syncope. Mise en pratique par le ballet Béjart, il débute sur un fond mauve où un petit lutin étendu à même le sol revient d’un long somme. Sollicité par une danseuse à la tenue du même mauve, il ne réagit tout d’abord que par à coups, avant de se lâcher plus intensément. Les chérubins aux ailes de libellule s’agitent dans tous les sens tandis que cinq danseurs se chargent de tirer leur cavalier de son profond sommeil. Après un imbroglio où bras et jambes se mêlent, le tollé final voit le retour dans son sommeil du danseur principal. La foule «surkiffe». Sans laisser le temps à la salle de cuver cette dose, le ballet enchaîne pour finir avec Boléro. Cette danse, inspirée de Maurice Ravel est une musique de ballet pour orchestre en do majeur composée en 1928 et créée le 22 novembre de la même année à l’opéra Garnier par sa dédicataire, la danseuse russe Ida Rubin Stein. Le rôle central est tantôt confié à un danseur ou à une danseuse et le rythme en est interprété par un groupe de danseurs. Les mouvements et le rythmes sont invariables. Sur ce coup-là les rênes sont tenues par un danseur qui s’emploie sur un piédestal, une sorte de tréteau entouré de chaises où ses camarades (danseurs sénégalais et européens) patientent d’abord attentivement. Les ensembles évoluent en deux lignes où les torses noirs se distinguent de ceux blancs. Sur le dernier salto, ils se retrouvent tous devant le tréteau, les bras en l’air, magnifiant la synchronisation de leurs mouvements. Le ballet venait de réussir son retour à Dakar. Et très certainement, Maurice Béjart, regardait de là où il est, d’un œil attendri, ce show monstre.
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