La Matière de l’absence de Patrick Chamoiseau

 

J’ai ouvert le livre et mes yeux ont repéré cette belle citation philosophique :

« Ceux qui vivent longtemps se nourrissent de l’absence ». 

Quand on remet la citation dans son contexte et dans son paragraphe, ça donne ceci :

 

« Ceux qui vivent longtemps se nourrissent de l’absence. Leur regard reste attaché à ce qui leur manque, à ce qu’ils ont perdu. Dès lors, submergées par les rides, éclairées de sourires devenus enfantins, leurs pupilles reflètent autant de vulnérabilités tendres que d’innocences gourmandes. Et ces deuils, ces ruptures et ces manques, qui assaillent nos survies ordinaires, qui nous abîment ainsi, semblent en ce qui les concerne n’aller qu’en dérivant de part et d’autre de leur durée, tel l’impressionnant sillage d’une force en chemin. Ils en sont riches comme d’une source impossible que seule leur mémoire magicienne aura pu transformer en substance. Et ce sillage, mon cher, est une célébration ».

 

 

Ce sont les mots de la Baronne, l’un des personnages du livre, véhiculés à l’entrée du cimetière, dans un échange avec son petit frère, qu’elle appelle « Négrillon ». Leur mère, Man Ninotte, n’est plus de ce monde. 

Un peu plus loin, dans les mots qui suivent, on peut lire ceci :

« Ceux qui vivent longtemps sont aussi grignotés par l’absence ».

Et bien sûr, ça sonne comme une suite de citation. Et quand on le remet dans son contexte, comme tout à l’heure avec la première citation, ça donne ça :

« Mais ceux qui vivent longtemps sont aussi grignotés par l’absence. Ils épaississent sans doute dans l’invisible, car leur corps – tout ce que l’on voit d’eux, ou qui émane de ce qu’ils sont – s’en va en diminuant. Ils sont en devenir dans quelque chose qui les efface (ce trou noir des pertes, des ruptures et des manques), dont ils ramènent l’étonnant paradoxe, et le triomphe ténu, de leur durée. Ceux qui vivent longtemps se rapprochent d’un mystère… ».

Continue, bien évidemment, la Baronne.

À ce stade, je me suis dit : « ça, c’est du Patrick Chamoiseau, il a ce don de prendre un sujet personnel pour le rendre universel ! ». Je sais, je l’ai plusieurs fois expérimenté, je ne sors jamais d’une lecture d’une des œuvres de Patrick Chamoiseau sans avoir appris au moins un petit quelque chose. Ça s’appelle certainement de la lecture instructive, que certains pourront qualifier de chiante, mais heureusement que nous sommes nombreux à nous délecter sur du Chamoiseau.

Pour revenir sur ce livre, je vous avoue que j’ai adoré découvrir le côté universel développé au fil des pages et, surtout, adorer apprendre ces saveurs créoles, qui jusqu’ici étaient un peu éloignées de ma modeste personne. Et c’est donc tout naturellement que je vous recommande ce livre.

 

 

Extraits :

« Dans le légendaire des vieilles croyances créoles, il est dit, affirmé, que ceux qui sont partis reviennent vous faire des signes après leur enterrement. »

« Vivre n’est pas facile, les béquilles sont bienvenues, les illusions aussi, et quant aux vérités qui nous tombent du passé, le plus sûr est de les regarder s’épuiser, sans armes, sans guerre et sans souci !… »

« Le conteur créole ne dépeint jamais rien, aucun paysage, et surtout pas ses personnages, il ne fait ni dans la psychologie ni dans l’exploration des profondeurs de l’âme. Ce qui constitue son histoire se situe bien plus dans ce qu’il ne dit pas que dans ce qu’il expose »

 

Résumé :

A partir de la mort de sa mère, l'écrivain visite l'histoire encore méconnue des Antilles, leurs genèses, leurs rituels, leurs modes de vie, remontant aux origines de l'humanité, retraçant l'étonnante créativité d'un peuple qui a inauguré ses mythes et ses combats dans le ventre du bateau négrier. Dialoguant avec sa sœur, dite "la Baronne", il évoque, avec tendresse, humour et profondeur, la poétique de tout un monde qui dépasse le cercle familial et nous initie à un bel art de vivre.

 

L’auteur :

Patrick Chamoiseau est né le 3 décembre 1953 à Fort-de-France en Martinique. Prix Goncourt pour Texaco (en 1992), il est l'auteur de récits intimes (Une enfance créole, en trois volumes), de romans (Chronique des sept misères, Solibo Magnifique, Biblique des derniers gestes), d'essais (Eloge de la créolité, Lettres créoles, Ecrire en pays dominé), de pièces de théâtre, de poèmes et de scénarios. Il vit au Lamentin.

 source:  Michel Tagne Foko

 

 

 

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