C’était un peu dans l’air du temps pour coller à la lettre et à l’esprit du grand magal de Touba. Pour les thiantacoune, pas question d’être en reste. Et jusqu’ici, ils avaient sorti le grand jeu pour cette édition. Il manquait juste le panache, et il était sacrément hypothéqué par l’interdiction faite à leur guide spirituel Cheikh Béthio Thioune de faire un thiant pendant la période de sa liberté provisoire. Pourtant, le soir du magal, Dianatoul Mahwa, fief de Cheikh Béthio, a fédéré du monde. Mais c’était surtout pour Cheikh Béthio Thioune l’occasion de replonger dans la ferveur des longues et joyeuses nuits de thiant qui ont fait son succès auprès de ses talibé. Des deux côtés, le manque était évident. Eux, trépidants d’impatience contenue, de soif de rafraîchissantes nuits de grâce. Lui, en manque de chaleur familiale après de longs mois en prison. La communion pouvait alors commencer. Et en cette nuit de grand magal de Touba, elle promet d’être explosive, infiniment plus show-off que les chaudes nuits de Mermoz.
La tente qui abrite le thiant s’allonge sur plus de 100 mètres avec près de 40 mètres de large. L’intérieur, garni de portraits grandeur nature de feu Serigne Saliou Mbacké, est bondé de monde. Aux alentours, une foule monstre se presse alors que les cars et bus n’en finissent pas, à quelques dizaines de mètres de là, de débarquer encore du monde venu exprès pour le thiant. Il est juste minuit passé d’une demi-heure. Malgré le froid, le léger vent et la poussière qui vicie l’air, les talibé gardent toujours un enthousiasme de bizut. Pour éviter les dérapages, les corps de sécurité des différents dahira se chargent de la police sous la tente et tentent au mieux de canaliser les excès de certains de leurs camarades talibé. L’arrivée du Cheikh tarde beaucoup et les coups d’œil réflexes vers les montres et portables se multiplient.
Plusieurs fausses alertes sont données par des talibé surexcités. C’est d’abord des chœurs assourdissants qui clament le nom du Cheikh, puis des applaudissements frénétiques, d’autres fois des murmures sourds. Malgré l’attente qui se prolonge, la perspective de douces et excitantes retrouvailles avec Cheikh Béthio Thioune dope les thiantacoune et gomme toute impatience. Il est 2 heures du matin passées de 20 minutes quand le Cheikh arrive enfin. A sa suite, une longue procession composée de ses principaux dieuwrigne, de ses épouses. La foule de talibé tombe littéralement en transe : cris hystériques, évanouissements soudains, battements de mains témoignent de leur nostalgie pour les savoureuses soirées avec leur idole. Le Cheikh s’avance, sourire épanoui et lève les mains pour un salut triomphal.
Actions de grâce, danses et mariages au menu
Les talibé découvrent leur guide spirituel, «l’incarnation sur terre» de feu Serigne Saliou Mbacké. Cheikh Béthio Thioune a ce même visage avenant, certes un peu amaigri mais avec la même flamme pétillante d’énergie. Sous son grand boubou élégamment brodé qui tire sur le jaune, il semble avoir perdu quelques kilos. Ses verres translucides scrutent la foule pour jauger de sa consistance. Satisfait, il s’assoit. Sa spécialité est cette fusion passionnée avec ses talibé. Comme dans une gigantesque synchronisation, ils se connaissent et se comprennent. Ils partagent les mêmes joies et tirent leur bonheur dans l’exaltation des hauts faits de leur bienfaiteur commun, feu Serigne Saliou Mbacké. Pourtant, les talibé du Cheikh y rajoutent toujours cette surdose d’exubérance. Malgré l’ardeur des consignes de leurs dieuwrigne, les talibé s’agitent dans tous les sens pour mieux voir leur marabout. Les barrières qui délimitent de pourtour commencent à céder sous leur pression, menaçant ainsi la bonne organisation de la cérémonie. D’autres talibé en tenue s’emploient pour restaurer l’ordre dans les rangs. L’agitation grandissante ne trouble pourtant pas les khassaïde chantés de vive voix. Dans les rangs de derrière on supplie : «De grâce, pour l’amour de Serigne Touba, restez assis pour que nous aussi nous puissions voir le Cheikh.»
Cheikh Béthio, assis sur un canapé avec ses épouses, reçoit quelques invités avant d’écouter les chansons de Mouhamadou Niang. Les cantiques de ce dernier sont des odes à la gloire de Serigne Saliou et de son fidèle Cheikh Béthio. Il n’en faut pas plus pour déchaîner toute la tente et les billets de banquent pleuvent. Le Cheikh lui-même s’invite à la danse avec de savoureux doukatt (pas de danse caractéristiques des thiantacoune) dont il a le secret. Les dieuwrigne s’y collent eux aussi. La tente est en transe et l’ambiance frôle le débordement. Le cheikh lui-même menace qui quitter si jamais ses talibé ne se tenaient pas tranquilles : «Tous à terre, restez assis, soyez calmes et à l’écoute.» Ses mots opèrent comme par magie auprès des talibé surexcités.
Le thiant se poursuit et le second volet du programme est dévoilé. Un autre chanteur doit intervenir. Mais le clou reste toujours les mariages que le Cheikh doit célébrer. Il s’enquiert : «Quels sont les couples qui doivent se marier aujourd’hui ? Dites-moi leurs noms pour que je procède à leur union par la grâce de Serigne Saliou Mbacké.» Un talibé donne lecture des noms des couples qui souhaitent se marier. Le cheikh procède au mariage des couples et leur donne quelques conseils. Il est 5 heures du matin. Pour les talibé, ces retrouvailles ont tenu leurs promesses. Leur reconnaissance va directement au fondateur du mouridisme : «Dieureudieufé Serigne Touba !» (Rendons grâce à Serigne Touba !)
(envoyé spécial à touba)
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