By Anthony Nugan on mercredi 6 août 2014
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Karim Wade – Au nom de Dieu ! (Par Mamoudou Ibra Kane)

Karim. Un des 99 noms et attributs de Dieu en Islam. «Karim à la barre, le procès de Dieu.» Oh suprême blasphème ! Pardonnez-moi mon Seigneur… ce titre satanique.

Trêve de plaisanterie et plus sérieusement. Cette histoire de «traque des biens mal acquis», lancée depuis mars 2012, qui tient en haleine les créatures que nous sommes, ne jugera point Dieu.

Les sept (chiffre divin, mais est-ce un hasard ?) juges composant la Cour de répression de l’enrichissement illicite devront, par contre, garder à l’esprit qu’ils sont chargés, par la communauté des hommes, de rendre justice au nom du Peuple. Ils devront faire fi du nom (lourd à porter) de celui dont le père a voulu faire… notre Dieu. 


Oublié «le Ministre du ciel et de la terre». Oublié «le tout puissant Ministre d’Etat». Oublié «le génie financier» de son Chef d’Etat de père. Ce père n’a pas du tout renoncé à son projet présidentiel pour ce divin fils. Pour rappel, Wade-père, muni d’un sondage (qui n’est pourtant que la photographie d’un temps T), est convaincu que la prochaine Présidentielle sera la bonne pour la chair de sa chair.

Oubliés les qualificatifs et autres superlatifs entendus lors de sa nomination. Le fils du Pape (du Sopi) concentrait à lui seul, le dixième des portefeuilles ministériels du gouvernement d’alors. Est-il besoin de rappeler ce lourd portefeuille au propre comme au figuré : ministre des Infrastructures, de la Coopération Internationale, des Transports Aériens et de l’Energie ?

Oubliés les «Ya’a Karim» qui avaient fini par le catapulter au…septième ciel… sénégalais. Oublier… Tout oublier. Parce que tout cela n’était que vanité et évanescence.

Les cinq juges et les deux procureurs de la Cour de répression de l’enrichissement illicite, appelés à juger Karim Wade, devront prier Dieu pour avoir cette capacité d’élévation qui justifie la confiance placée en eux par le peuple sénégalais épris de justice pour récupérer ses maigres ressources distraites, s’il en est. Ils doivent faire leur, la logique d’Aristote en paraphrasant le célèbre syllogisme : «Tous les hommes sont mortels, or [Karim] est un homme, donc [Karim] est mortel.» Oui, il est un être humain, avec ses défauts et ses qualités, le Karim Wade qui s’est présenté, le jeudi 31 juillet 2014, devant la barre, faisant face à ses juges, entouré d’un pool d’avocats et attendant sagement d’entendre les 92 témoins (presque autant que les 99 noms de Dieu) à charge et à décharge, et en présence d’un millier de citoyens (le nombre de places assises de la salle d’audience est de 1 500) curieux de tout voir et tout savoir. Il s’est présenté comme «un prisonnier politique». C’est son droit. C’est aussi le sien d’avoir un procès «juste, équitable et respectueux de ses droits», comme n’ont cessé de le marteler les défenseurs des droits de l’Homme et tous ceux qui sont épris des mêmes valeurs. «Un procès pour l’exemple», avance un avocat de l’Etat. «Plutôt un procès politique», s’empresse de rectifier son confrère de la défense.

Un procès pour l’histoire dans tous les cas. Historique à tous points de vue. Pour le contribuable sénégalais d’abord. En effet, c’est la première fois, dans l’histoire judiciaire de ce pays, que la justice traite de dossiers faisant état d’aussi grosses sommes supposées avoir atterri dans les comptes bancaires du principal accusé.

C’est tout le mérite du Président Macky Sall qui a eu le courage politique de lancer ce qui est convenu d’appeler «la traque des biens mal acquis». Historique ensuite au regard de la CREI, cette juridiction réactivée (?), mais si décriée – juridiction d’exception, jugent ses détracteurs -, qui a aujourd’hui l’occasion unique, avec les magistrats qui la composent, de prouver qu’elle est de taille à faire éclater la vérité et seulement la vérité dans le respect de l’Etat de droit.

Historique aussi en rapport avec les immenses fonctions occupées naguère par Monsieur Karim Wade. Jamais au Sénégal un justiciable de ce niveau de responsabilités étatiques et de ce rang social – fils d’ancien président de la République – n’a été jugé par un tribunal pour une affaire liée aux deniers publics.

Autre parenthèse d’histoire, l’ancien président du Conseil, équivalent de Premier ministre, feu Mamadou Dia, avait été jugé et condamné par la Haute Cour de Justice pour tentative (présumée) de coup d’Etat contre le Président Senghor, tandis que l’affaire dite des chantiers de Thiès n’est pas allée à son terme.

En effet, l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, mis en accusation devant la Haute Cour de Justice, avait bénéficié d’un non-lieu.

Pour chahuter la Cour de répression de l’enrichissement illicite, ses contempteurs avancent souvent que la première fois qu’elle a eu l’occasion, dans les années 80, de s’illustrer, elle n’avait condamné que des lampistes.

Laissant en liberté les vrais coupables de l’époque du délit d’enrichissement illicite. Conçue par l’ancien Président Abdou Diouf, ressuscitée et remise au goût du jour par le Président Macky Sall, la CREI actuelle réussira-t-elle aujourd’hui là où son initiateur d’alors a échoué ? Sall fera-t-il mieux que Diouf en termes de détermination à aller jusqu’au bout ? C’est tout le défi du procès ouvert, jeudi, au Palais de justice de Dakar.

C’est en raison de cet important défi, celui de la bonne gouvernance et de la vérité afin que «rien ne soit plus comme avant», qu’il nous semble opportun d’accorder un grand intérêt à la demande de comparution à titre de témoins de l’actuel président de la République et de son prédécesseur.

Rejetée ou acceptée par la Cour, cette demande exprimée par les avocats de la défense donne l’occasion de questionner fortement, voire de revoir purement et simplement le statut juridique du président de la République du Sénégal.

Une délimitation du champ d’application de «l’irresponsabilité juridique» du président de la République s’impose à toute démocratie qui se veut moderne. Le sort qui sera réservé à cette requête ne doit pas clore le débat.

Les réformes préconisées par la CNRI, sous la conduite du Président Amadou Mahtar Mbow, sont une opportunité à saisir pour mettre définitivement nos institutions en conformité avec les exigences d’une démocratie moderne.

Les instants historiques qu’est en train de vivre notre pays doivent également être saisis comme une bonne occasion d’interroger sérieusement notre rapport au pouvoir et à l’argent public.

Les accusations, vraies ou fausses, à l’encontre de Karim Wade et compagnie interpellent toute une société réputée pour sa grande hypocrisie. Elles interpellent aussi et surtout toutes les élites politiques qui se sont succédé depuis l’indépendance et qui ont eu à gérer les ressources publiques.

Sous Senghor, sous Diouf comme sous Wade – sous Sall on verra – que de scandales sus ! Mais que de scandales tus et même tués ! Karim Wade condamné serait tout aussi grave que s’il était acquitté.

Une condamnation voudrait dire que notre Etat n’est pas sérieux. Parvenir à distraire autant d’argent en le mettant non pas dans la caisse, mais dans la poche signifierait deux choses : soit le sacro-saint principe comptable d’unité de caisse n’existe que de nom, soit, et c’est tout aussi grave, l’éventuel condamné a bénéficié de complicités de la base au plus haut sommet, en passant par les argentiers de l’Etat.

Un acquittement, quant à lui, nous édifierait sur le manque de sérieux des gouvernants actuels qui se seraient alors bien amusés avec la liberté d’un homme et avec celles de tous ses présumés complices.

Déjà que la montagne des 694 milliards de francs Cfa, initialement annoncés par le Procureur spécial comme représentant la fortune «illicite» de Karim Wade, a subi une érosion phénoménale. Aujourd’hui, elle atteint 117 milliards. Ce qui n’en fait pas moins une montagne. Avec à la clé, excusez du peu, un dossier de 45 000 pages !

Alors, nous entendre dire dans un futur proche qu’il est blanc comme le boubou du premier jour de son procès serait un camouflet historique pour le régime.

Mais trêve de conditionnel ! Avec tous ces «si», on mettrait ces milliards dans une bouteille. L’erreur communicationnelle de ceux qui sont en charge de la procédure des «biens mal acquis» est d’avoir trop cherché à choquer l’opinion par un effet d’annonce. 694 milliards !

Alors qu’un seul franc distrait frauduleusement du budget vaut enrichissement illicite, donc abominable et, par conséquent, condamnable. Sans être dans le secret des dieux du Temple de Thémis, encore moins dans l’intimité du président de la CREI, Henri-Grégoire Diop, et de ses quatre collègues juges, Karim Wade ne doit pas être le seul à payer s’il est avéré qu’il est coupable de ce dont on l’accuse.

Avec le grand nombre de personnalités appelées à témoigner à charge ou à décharge, il sera intéressant, tout le temps que durera le procès, de voir défiler certaines personnes, pas toutes, présentant un air innocent alors qu’en temps normal, ils seraient tout aussi passibles de poursuites que le Sieur, sujet de leur témoignage.

Nous sommes en République…Laïque. Qui ignore cette fameuse loi selon laquelle «un vol égale une main coupée». Il nous serait alors donné de voir un spectacle de mains coupées et autant de moignons. Et là, si c’était le cas, «billahi», on les aurait coupées… au nom de Dieu !Que celui qui n’a pas volé lève la main ! Que de mains coupées ! Mon Dieu, épargnez-nous ce beau spectacle de manchots.

MAMOUDOU IBRA KANE

source:http://www.leral.net/Karim-Wade-Au-nom-de-Dieu--Par-Mamoudou-Ibra-Kane_a120938.html

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